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« Rarement une entreprise législative n’aura suscité, au niveau de l’Union, une réaction contentieuse aussi groupée qu’intense ». Dans ses conclusions présentées le 14 novembre 2023, l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) place ainsi, dans son contexte, l’imposant dossier à juger : 15 affaires jointes, soit autant de recours introduits en 2020 par 7 États membres visant à obtenir l’annulation de certaines dispositions, voire de l’intégralité, de 2 règlements et d’une directive compris dans le Paquet Mobilité. Pour expliquer l’importance de l’enjeu, Giovanni Pitruzzella a raison de rappeler que cette bronca « anti-Paquet Mobilité » « cristallise (…) un risque de fracture entre deux visions de l’Union ».
D’un côté, les pays composant « la vieille Europe », désireuse de protéger ses marchés intérieurs et une certaine idée de la régulation de ces derniers, tout comme les conditions de travail des salariés amenés à travailler sur leurs territoires ; de l’autre, la Lituanie, la Bulgarie, la Roumanie, Chypre, la Hongrie, Malte et la Pologne, tout à leur volonté de développement économique à tous crins, quitte à serrer les dents. Ce sont ces derniers qui menaient la fronde, contestant la régularité des actes législatifs qu’ils considèrent, en vrac, violer le principe de proportionnalité, les libertés fondamentales garanties par le Traité (TFUE), les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, la politique en matière d’environnement.
15 recours et un argument
L’avocat général propose aux juges de la CJUE de rejeter la grande majorité de ces recours, à savoir ceux visant le règlement (UE) 2020/1054, traitant de la durée du temps de travail des routiers, et la directive (UE) 2020/1057, qui réglemente le détachement dans le transport routier, mais aussi ceux qui concernent l’article 2 de la directive 2020/1055, soit la période de carence de 4 jours entre deux périodes de cabotage autorisé. La Pologne, seule à contester la validité de deux autres dispositions de cette directive, ne convainc pas davantage.
En revanche, Giovanni Pitruzzella suggère aux juges de donner raison aux État membres au regard d’un seul aspect, relatif à l’obligation – mise en place par l’article 1er du règlement (UE) 2020/1055 – de retour des véhicules toutes les huit semaines dans l’État membre d’établissement. Les parties demanderesses se prévalaient du fait que cette mesure n’avait pas fait l’objet d’une analyse d’impact par le Conseil et le Parlement. Cette étude aurait dû concerner l’impact « économique, social et environnemental » de cette obligation créée par le législateur, c’est-à-dire la Commission, qui n’aurait donc pas été à même d’apprécier la proportionnalité de l’obligation de retour. D’ailleurs, la Hongrie, dans son recours, souligne les réserves exprimées par l’exécutif européen lui-même quant à cette nouvelle exigence.
Cette absence d’étude d’impact viole le principe de proportionnalité, selon l’avocat général ; elle ne permet en effet pas au législateur de l’Union de disposer de « suffisamment d’éléments lui permettant d’apprécier la proportionnalité d’une mesure adoptée, autrement dit d’exercer effectivement son pouvoir d’appréciation ». Cette mesure, d’ailleurs, ne faisait pas partie de la proposition initiale de règlement, le texte se bornant à modifier les règles d’établissement telles que décrites à l’article 5 du règlement (CE) n° 1071/2009. « L’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines ne faisait pas partie des mesures couvertes par l’analyse d’impact de la Commission dans la proposition initiale. C’est là une différence fondamentale » par rapport à une autre mesure tout autant décriée par les requérants, à savoir l’obligation de retour des conducteurs.
Pas d’appréciation de la proportionnalité
L’absence d’étude d’impact, au plan social ou économique, se double d’un « oubli » similaire concernant l’incidence environnementale de cette nouvelle obligation faite aux transporteurs. Selon lui, ni Parlement européen ni Conseil n’ont procédé à l’analyse de la réglementation mettant en place cette obligation. Il leur était impossible d’apprécier la proportionnalité de cette disposition au regard des objectifs qu’ils entendaient poursuivre.
En conséquence, l’avocat général propose à la Cour d’annuler la disposition « incriminée » du règlement (UE) 2020/1055 car elle a modifié l’article 5 du règlement (CE) n° 1071/2009 « en y insérant une obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines ».
Cette proposition est la seule, faite par l’avocat général, qui aille dans le sens des requérants. Pour le reste, si l’on en croit l’analyse de Giovanni Pitruzzella, le paquet Mobilité semble fermement arrimé au droit. Reste aux juges à se prononcer sur ce dossier qui, pour reprendre les mots de l’avocat général dans son préambule, traite de « la poursuite d’un vouloir vivre ensemble sur des fondations économiques et sociales communes ». Ce qui n’est pas rien.
Paru au Bulletin des transports et de la Logistique n° 3949, 30 novembre 2023.
Le Paquet Mobilité devant la CJUE : le retour du véhicule fragilisé
Transport - Route
20/11/2023
Dans ses conclusions présentée le 14 novembre, l’avocat général de la CJUE recommande au juge européen de rejeter l’essentiel des demandes des 7 pays de l’Union opposés à la mise en place du paquet Mobilité. Il suggère que seule l’obligation, pour un véhicule, de revenir toutes les huit semaines, dans un centre opérationnel de l’État membre d’établissement de l’entreprise, soit annulée. En cause, le manque d’étude d’impact fournie au moment de l’adoption du règlement (UE) 2020/1055, notamment environnemental.
D’un côté, les pays composant « la vieille Europe », désireuse de protéger ses marchés intérieurs et une certaine idée de la régulation de ces derniers, tout comme les conditions de travail des salariés amenés à travailler sur leurs territoires ; de l’autre, la Lituanie, la Bulgarie, la Roumanie, Chypre, la Hongrie, Malte et la Pologne, tout à leur volonté de développement économique à tous crins, quitte à serrer les dents. Ce sont ces derniers qui menaient la fronde, contestant la régularité des actes législatifs qu’ils considèrent, en vrac, violer le principe de proportionnalité, les libertés fondamentales garanties par le Traité (TFUE), les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, la politique en matière d’environnement.
15 recours et un argument
L’avocat général propose aux juges de la CJUE de rejeter la grande majorité de ces recours, à savoir ceux visant le règlement (UE) 2020/1054, traitant de la durée du temps de travail des routiers, et la directive (UE) 2020/1057, qui réglemente le détachement dans le transport routier, mais aussi ceux qui concernent l’article 2 de la directive 2020/1055, soit la période de carence de 4 jours entre deux périodes de cabotage autorisé. La Pologne, seule à contester la validité de deux autres dispositions de cette directive, ne convainc pas davantage.
En revanche, Giovanni Pitruzzella suggère aux juges de donner raison aux État membres au regard d’un seul aspect, relatif à l’obligation – mise en place par l’article 1er du règlement (UE) 2020/1055 – de retour des véhicules toutes les huit semaines dans l’État membre d’établissement. Les parties demanderesses se prévalaient du fait que cette mesure n’avait pas fait l’objet d’une analyse d’impact par le Conseil et le Parlement. Cette étude aurait dû concerner l’impact « économique, social et environnemental » de cette obligation créée par le législateur, c’est-à-dire la Commission, qui n’aurait donc pas été à même d’apprécier la proportionnalité de l’obligation de retour. D’ailleurs, la Hongrie, dans son recours, souligne les réserves exprimées par l’exécutif européen lui-même quant à cette nouvelle exigence.
Cette absence d’étude d’impact viole le principe de proportionnalité, selon l’avocat général ; elle ne permet en effet pas au législateur de l’Union de disposer de « suffisamment d’éléments lui permettant d’apprécier la proportionnalité d’une mesure adoptée, autrement dit d’exercer effectivement son pouvoir d’appréciation ». Cette mesure, d’ailleurs, ne faisait pas partie de la proposition initiale de règlement, le texte se bornant à modifier les règles d’établissement telles que décrites à l’article 5 du règlement (CE) n° 1071/2009. « L’obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines ne faisait pas partie des mesures couvertes par l’analyse d’impact de la Commission dans la proposition initiale. C’est là une différence fondamentale » par rapport à une autre mesure tout autant décriée par les requérants, à savoir l’obligation de retour des conducteurs.
Pas d’appréciation de la proportionnalité
L’absence d’étude d’impact, au plan social ou économique, se double d’un « oubli » similaire concernant l’incidence environnementale de cette nouvelle obligation faite aux transporteurs. Selon lui, ni Parlement européen ni Conseil n’ont procédé à l’analyse de la réglementation mettant en place cette obligation. Il leur était impossible d’apprécier la proportionnalité de cette disposition au regard des objectifs qu’ils entendaient poursuivre.
En conséquence, l’avocat général propose à la Cour d’annuler la disposition « incriminée » du règlement (UE) 2020/1055 car elle a modifié l’article 5 du règlement (CE) n° 1071/2009 « en y insérant une obligation de retour des véhicules toutes les huit semaines ».
Cette proposition est la seule, faite par l’avocat général, qui aille dans le sens des requérants. Pour le reste, si l’on en croit l’analyse de Giovanni Pitruzzella, le paquet Mobilité semble fermement arrimé au droit. Reste aux juges à se prononcer sur ce dossier qui, pour reprendre les mots de l’avocat général dans son préambule, traite de « la poursuite d’un vouloir vivre ensemble sur des fondations économiques et sociales communes ». Ce qui n’est pas rien.
Paru au Bulletin des transports et de la Logistique n° 3949, 30 novembre 2023.
Source : Actualités du droit